jeudi 25 avril 2019

Vampire’s Bazaar




A la mort de Lauren Bacall en aout 2015, alors que ses photographies envahissaient Internet, une image insolite fit son apparition : la couverture de Harpers Bazaar de mars 1943 par Louise Dahl-Wolfe titrée « Spring Fashion ». Mode de printemps ? Mais de quelle mode étrange s’agit-il ? 
On voit Bacall âgée de 19 ans, habits noirs, foulard blanc imitant un jabot et sac à main rouge, poser devant la vitre martelée d’un bureau de don du sang. Son visage légèrement éclairé par en dessous, ses lèvres fines et écarlates et le col relevé de sa veste formant deux pointes ne laissent aucun doute. Elle interprète bien un vampire rodant autour des cabinets médicaux mais sans doute arrêté dans sa quête par la croix rouge peinte sur la vitre. On ne sait si le symbole protège la réserve de sang ou l’infirmière à la forme blanche estompée par la vitre trouble. 
Pendant les années 40, les femmes fatales du film noir comme Veronika Lake, Gene Tierney ou Joan Bennett flirtaient avec un certain vampire chic. Les capelines, les lunettes de soleil, les voilettes et les fleurs maladives, dahlias noirs ou gardénias bleus, étaient dans l’air du temps. Cependant, la couverture de Harpers Bazaar est déjà légèrement parodique, devançant de quelques années les EC Comics qui allaient lâcher goules et loups-garous dans l’Amérique d’Eisenhower.  
Bacall se tient exactement entre deux mondes : le noir et blanc et la couleur. La tonalité générale de la photographie est sépia, les seules taches chromatiques sont le rouge de la bouche, de la croix et du sac. La délicate luminescence qui nimbe son visage relève encore de l’aura, cette clarté intérieure, ontologique à la star classique. Les taches de couleur rouge annoncent en revanche ce qui deviendra l’énergie du vampire lors des décennies suivantes. Il s’agit d’exciter chez les lectrices la pulsion d’achat et un désir mimétique d’absorber le pouvoir de séduction de l’actrice. 
Que le vampire devienne une figure de l’élégance mais aussi de la consommation est une prémonition de son devenir. Saisissant l’esprit des années 80, Tony Scott plongera ses Prédateurs dans l’esthétique publicitaire et en fera des figures de l’euphorie capitaliste et de la combustion des plaisirs. 

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